10 décembre 2017

Situation explosive à la frontière de Ceuta


En direct du poste frontière de El Tarajal à Ceuta...



Bousculades à la frontière
Ces dernières années la pression migratoire s'est amplifiée sur l'enclave espagnole de Ceuta, depuis que le passage des réfugiés et immigrés s'est ralenti en Grèce.  On assiste en même temps à un accroissement du trafic transfrontalier entre Ceuta et la province marocaine de Tétouan. Ces 2 phénomènes se conjuguent, en particulier sur le poste frontière de El Tarajal (Bab Septa pour les marocains). Le manque d'effectifs de la Police et de la Guardia Civil est évident pour surveiller les 8 km du grillage de la frontière le long desquels des groupes de migrants tentent de passer en force, mais aussi pour gérer le passage des quelques 10 000 porteadores et 15 000 véhicules quotidiens au poste frontière ; en tout 30 000 personnes passent chaque jour. Le manque d'infrastructures à ce passage de El Tarajal a fait que la frontière, tout au long de l'année 2017, a été complètement engorgée. 



Des porteadoras et leurs ballots de marchandises
En février 2017, un nouveau passage appelé Tarajal II, a été enfin ouvert spécialement pour les piétons mais il a eu comme effet d'attirer encore plus de monde car il débouche directement sur le Polygone où viennent s'approvisionner les porteadores1.


Des bousculades inévitables se sont produites qui ont causé la mort de deux femmes au mois d'août. Les autorités, tant espagnoles que marocaines, ont été obligées de fermer à plusieurs reprises ce passage pour des raisons de sécurité. Cet afflux de personnes provoque un véritable problème humanitaire que des ONG dénoncent en Espagne.

Le modèle économique de Ceuta est-il dépassé ?

Dès les années 2000, on a envisagé une reconversion de l'économie ceuti en vue de l'Accord Euro-méditerranéen avec le Maroc qui devait supprimer les barrières douanières entre l'U. E. et le Maroc en 2012, mais en 2017 cet accord n'est toujours pas entré en vigueur...On a cependant vu ce commerce atypique (euphémisme espagnol pour parler de la contrebande) se transformer pour une plus grande rentabilité : dans les années 2000, les porteadores entraient à Ceuta pour vendre des légumes ou du poisson et repartaient chargés de produits de première nécessité qu'ils revendaient au Maroc. Aujourd'hui, ils n'entrent plus dans la ville de Ceuta et se contentent d'aller directement au Polygone où on les charge de ballots déjà préparés pour un montant pouvant varier de 50 à 130 € suivant la demande. Grâce à ces femmes et à ces hommes, les marchandises qui arrivent dans le port de Ceuta se transforment directement en exportations vers le Maroc, sans taxes douanières, puisqu'il n'y a pas de douane marocaine à El Tarajal.
Sur la plage de El Tarajal, les porteadoras attendent leur tour
pour passer la frontière

Selon les autorités espagnoles, ce sont près de 45 000 personnes qui vivent de ce « commerce » dans la région de Tétouan. À Castillejos (Fnideq pour les marocains), près de la frontière, la population est passée de 34 000 en 1994 à 80 000 en 2017 pour profiter de cette opportunité de travail.
Tout le monde en est bien conscient : trouver une alternative pour ces milliers de marocains pauvres, impliquerait de développer l'économie de cette province particulièrement « déprimée ».




Comment est géré l'afflux d'immigrés sur la frontière de Ceuta ?

un groupe d'immigrés subsahariens tente de passer la frontière
de Ceuta
L'Espagne et le Maroc coopèrent étroitement pour faire face à ce problème mais plutôt que d'une recherche de solution, il s'agit pour les 2 pays de fermer plus hermétiquement la frontière et parfois ont lieu des expulsions immédiates qui sont dénoncées comme illégales par les ONG. En échange de subventions, l'U.E. ne propose que des solutions assez égoïstes : fixer les migrants dans des camps sur les côtes sud de la Méditerranée (Turquie, Libye, Maroc) pour ne pas avoir à gérer cet afflux de personnes sur son territoire.


1On appelle ainsi les porteurs (ou porteuses) marocains qui viennent chercher chaque jour d'énormes ballots de marchandises pour les revendre de l'autre côté de la frontière.

8 décembre 2017

Un monument franquiste en Catalogne


Le monument franquiste de Tortosa






La petite ville de Tortosa, située au sud de la province de Tarragona sur les bords de l'Ebre, peut s'enorgueillir de posséder le monument franquiste le plus important de Catalogne : c'est ce que j'ai découvert lors de mon séjour dans cette ville.





Construit au beau milieu du fleuve sur la pile d'un ancien pont, il ne passe pas inaperçu : le monument se compose de deux « aiguilles » métalliques, la plus petite étant surmontée d'un aigle « impérial » dans la plus pure tradition franquiste, alors que sur la plus haute, un soldat se dresse pour saisir une étoile.











Au nord du monument, une croix complète l'aiguille la plus haute et, tout autour de la structure métallique, de nombreuses petites croix ornent les côtés comme pour bien souligner que le « national-catholicisme » était le fondement de l'idéologie du régime.


Un monument chargé d'histoire 




Ce monument commémore la victoire des troupes franquistes durant la Guerre Civile lors de la Bataille de l'Ebre en 1938. C'est ce que rappelle la légende qui figure sur le socle du monument1.


Il a été construit en 1964 pour célébrer les « Vingt-cinq ans de paix » à partir de la victoire du camp franquiste en 19392 . Finalement c'est en 1966 que Franco lui-même est venu à Tortosa pour l'inaugurer.

Au cœur de la polémique

Aujourd'hui ce monument est au cœur d'une polémique. En effet, à la fin de l’année 2007, le Congreso de los Diputados espagnol a approuvé une loi que l’on appelle communément en Espagne Ley de Memoria Histórica ou Loi sur la Mémoire Historique. Cette loi implique l’obligation pour les collectivités locales d’enlever «tous les écussons, insignes ou plaques commémoratives qui exaltent la rébellion militaire, la Guerre Civile ou la répression de la Dictature». À plus forte raison, un monument tel que celui-ci entre dans le cadre de cette loi.
Dès 201O, puis de nouveau en 2015, des groupes politiques de l'assemblée municipale ont proposé d'organiser une consultation populaire pour décider du sort de ce monument quelque peu « embarrassant ». Sans succès.
En 2016, le Parlement catalan ordonna même à la municipalité de retirer immédiatement le monument, mais celle-ci se contenta d'organiser un référendum en mai de la même année, référendum qui donna un résultat sans appel : 68% des votants se sont prononcés en faveur du maintien du monument dans son état actuel, simplement complété -en guise de légère concession à la démocratie- par des explications pédagogiques.
Outre le fait que le monument en question est un symbole d'une époque où le régime nia toute existence aux vaincus de la Guerre Civile, comment peut-on lui trouver une quelconque valeur esthétique qui justifierait son maintien au milieu de l'Ebre ?

1« Aux combattant qui trouvèrent la gloire au cours de la bataille de l'Ebre »

2 À cette occasion le pouvoir avait lancé sur tout le territoire une grande opération de propagande autour de ce slogan pour louer les bienfaits du régime.